in “Somato” n. 30 Settembre 1996.
Les expériences fondamentales du Soi (troisieme partie).
Les expériences fondamentales du Soi sont celles qui peuvent étre considérées comme essentielles, indispensables à un développement équilibré de la personnalité. Ce sont des expériences fondamentales pour l’existence, que chaque individu a traversées pendant sa vie, surtout pendant la période de la première enfance, méme si c’est parfois d’une faon insuffisante et carentielle. Qui n’a jamais été “pris”, au moins comme nouveau-né, n’a pas été aimé ou bien n’a pas aimé dans sa vie, ne s’est pas nourri ; qui n’a pas peru sa force calme, n’a pas bénéticié d’une vraie pause, ne s’est pas abandonné ; chacun de nous aurait pu conserver la capacité de reproduire toujours, et positivement, de pareilles expériences (toutes indispensabies à la plénitude de la vie), si ces expériences initiales avaient produit un effet positif. Si cela n’est pas arrivé, c’est la thérapie qui doit alors reconstituer le tissu Iacéré du Soi. Beaucoup d’expériences vécues en thérapie caiquent par la suite les vécus de la première enfance, elles peuvent ainsi tre expressément pensées et projetées à cette fin, exactement à partir des expériences fondamentales du Soi.
Le pouvoir rester : Anna Lisa
Anna Lisa vient chez moi dans la piénitude d’une grave forme d’allergie cutanée commencée alors qu’elle était une petite fille de 6 mois. lls ont méme do lui lier les maìns pour éviter qu’elle puisse se gratter la nuit, dans son sommeil.
Dans son enfance, elle a souffert également d’amygdalites et d’adénoides. A 12 ans elle a eu ses premières règles, et à 13 ans l’allergie s’est considérablement améliorée. A 16 ans, toxoplasmose suivie un an plus tard d’une grave anémie, puis il a fallu l’opérer de l’appendicite. Sa mère mourut l’année de ses 17 ans. Anna Lisa fut incapable de pleurer, elle eut seulement de violentes explosions allergiques. L’allergie s’aggrava considérablement après la disparition de sa mère, en se compiiquant de souffrance asthmatique croissante, jusqu’au début de la thérapie à 22 ans. Dès l’àge de 18 ans des troubles de colite apparurent ; à 20 ans une irrégularìté du cycle menstruel qui, une fois normalisé, céda la piace à des règles très douloureuses. Vers 17-18 ans une de ses premières histoires d’amour s’interrompit, un rapport aux vécus très douloureux, et la sensation particulièrement inquiétante que ses relations sentimentales étaient totalement ruineuses. La jeune fille souffre d’anxiété qui la prend surtout à l’estomac, elle a de fortes et continuelles transpirations aux mains et aux pieds. Elle fréquente I’université, mais elle éprouve des difficultés à se concentrer et surtout à passer ses examens. Elle semble toujours prise par un tourbillon d’agitation qui ne lui permet pas de s’arrèter, par une nervosité frénétique. Dernière d’une famille de 4 enfants, elle a deux frères ainés et une soeur plus àgée de 10 ans. Anna Lisa lui a toujours été attachée, au point de préférer sa compagnie et celle de ses amis aux personnes de son àge. C’est comme si Anna Lisa avait grandi trop rapidement pour essayer d”atteindre” sa soeur, en conservant néanmoins cristailisées en elle-mme des attitudes de petite fille ; surtout par le ton de sa voix, une certaine manière de se plaindre et faire des caprices, de bouder et de taper les pieds en signe de protestation. A présent sa soeur et son mari doivent déménager dans une autre ville, le rapport si intime doit se relàcher. Anna Lisa reste donc seule à s’occuper de son père qui s’est appuyé sur ses deux filles et principalement sur la cadette depuis la mort de sa femme. Très anxieux maintenant, il surveille sa fille, veut savoir tout ce qu’elle fait, et ne veut pas qu’elle sorte le soir. Il se fàche et crie souvent, mais sa fille ne réussit pas à l’affronter car elle éprouve de la pitié pour lui (elle sent qu’il a besoin d’elle), et aussi parce qu’elle ne réussit jamais à se fàcher. EIle est généralement toute “retenue”, ne pleure pas et ne s’émeut pas facilement. Anna Lisa vient en thérapie le poignet et le cou bandés, là où l’allergie et le prurit avaient été si forts que la peau était recouverte de plaies à force de se gratter. En d’autres points de son corps aussi, la peau paraissait rouge, gercée, ridée, avec de petites croùtes de sang.
Dès la première séance, il fut évident qu’elle étalt incapable de s’abandonner, de s’arrèter et de rester sans bouger mème un instant. Elle était agitée par le prurit bien sùr, mais également par les effets de l’anxiété ses mouvements étaient inquiets et continus. Elle était aussi durablement préoccupée pour autrui. Pendant une longue période à chaque rencontre c’était elle qui me demandait si j’étais bien. Souvent, pendant la séance, elle voulait savoir si je me sentais fatigué, si j’étais assis confortablement, si j’avais sommeil. Elle parlait par rafales, en interrompant les phrases, en les corrigeant, en se critiquant car elle ne s’exprimait pas de faon exacte, “Quelle grande imbécillité je suis en train de dire I” disait-elle souvent.
Dès la première séance elle eut d’énormes difficultés à s’étendre sur le petit lit sa téte ne se posait presque pas, au moindre prétexte elle cherchait à se redresser ses jambes étaient pliées et recroquevillées, sans possibilité de les allonger complètement.
L’autre trait caractéristique d’Anna Lisa était sa forte tendance à la rationalité, à l’explication ; une rationalité surdéveloppée mais suffisamment mobile, base d’une vive intelligence, accompagnée néanmoins d’incessantes pensées, qui tourbillonnaient sans cesse. L’incapacité de “rester” était aussi dans son cas I’incapacité d’arréter toute pensée. Le souffle, (comme on pouvait le prévoir) était complètement retenu dans la partie la plus haute du thorax. Quand je tentai de lui maintenir la poitrine pressée en pesant avec ma paume, elle fut tout de suite reprise par le sifflement typique de l’asthme.
A la fin de la premire séance, déjà le sifflement diminua considérablement ; les mains étaient encore très humides et les) ambes commenaient à se faire sentir très douloureuses. La patiente fut sur le point de pleurer une voix trembiotante, un noeud à la gorge, le visage tiré. Deux jours durant, après la séance, le prurit s’était amélioré, mais d’étranges sensations à la téte étaient intervenues. A la séance suivante elle me précisa avoir été allaitée au sein pendant les trois premiers mois, et qu’ensuite elle avait eu du lait artificiel. Je commenai un travail plus systématique et profond sur sa respiration, après l’avoir fait s’étendre, et avoir recueilli des sensations d’aversion naissantes pour ses pensées trop nombreuses. Assis à còté du petit lit, je lui soutenais le cou et la nuque avec ma main gauche, (une prise forte et rassurante), lui massais les muscles profondément contractés, en essayant de modifier ses positions habituelles et de lui faire tourner la t&e un peu en arrière. Avec ma main droite, je l’aidais à respirer, soit en forant le mouvement des cates sur le bord da diaphragme vers le bas pour faciliter l’expiration, soit en serrant le tour da diaphragme pour le faire se desserrer, soit en poussant légèrement le thorax pour le vider et éviter d’attirer le souffle entièrement vers le haut, soit encore, en essayant de diriger avec ma main l’air davantage vera le bas, vera le ventre plutot que vera le thorax. Si sa respiration n’avait subi qu’une légère modification, le travail de relàchement et d’assouplissement des tensions musculaires, dans le but de contenir, provoquèrent leurs premiers effets au bout de la séance : mains froides mais sèches, des frissons (avec contraction finale à la dernière phase de l’onde du frisson), légères douleurs au cou (qui était sur le point de se fatiguer dans la position habituelle), jambes douloureuses, avec de forts “courants” dans les mollets, la bouche comme endormie, une Iégère sensation de torpeur et d’évanouissement. La mobilisation de la respiration et des rigidités produit toujours, initialement, d’étranges sensations et un accroissement des troubles, de légères douleurs dans les zones les plus contractées et immobiles; d’une part parce que la respiration fait baisser à nouveau les seuils percepteurs en récupérant partiellement la sensibilité perdue, d’autre part, parce que ce sont les zones les plus nécessiteuses d’aide qui accumulent le plus les premiers eflets thérapeutiques. Au-delà de ces perceptions de douleur ou de froid (dont le typique refroidissement des mains), on peut déjà remarquer les indications initiales d’un relàchement du contròle, de la vigilence, de l’agitation. Les frissons sont des mouvements incontròIables qui traversent tout le corps ; les courants aux mollets concernent des modifications biochimiques profondes et des changements de tonus musculaire. L’histoire complète de la relation avec sa soeur et sa mère commena à émerger avec une intensité émotive correspondante à la troisième séance. Sa soeur servait de “tampon” entre elle et sa mère. La mère mourut avant qu’Anna Lisa ne puìt récupérer un vrai rapport avec elle. Anna Lisa, qui avait toujours préféré rester avec sa soeur plutòt qu’avec sa mère, se sentit profondément fautive. La jeune fille réussira seulement plus tard, pendant le parcours thérapeutique, à récupérer une ancienne et profonde sensation d’affectlon pour sa mère, enterrée sous la peur, la gène et la rage. C’est toujours pendant la troisième séance que la patiente est prise de tremblements et de sursauts, qui durent longuement après un travail sur le cou. Une forte douleur se fait sentir aux bras et aux jambes qu’elle sent comme intouchables, exactement comme après le prurit. C’est une première indication, qui nous confirme que nous sommes en train d’aller dans la bonne direction, pour arriver exactement aux mécanismes engendrés par le tableau de ses symptòmes, particulièrement graves dans la sphère physiologique. Un autre type d’intervention thérapeutique tend au contraire à lui permettre de faire sortir la torce à l’extérieur: il s’agit de pousser le théra• peute d’abord avec les jambes, ensuite avec les bras, en menant le mouvement à son terme en mime temps que la phase expiratoire, avec un son net de la voir. Quelques larmes surviennent, mais seulement pour un temps, les tremblements et les sursauts durent longuement, au contraire.
A la séance suivante, à la suite d’un long et profond massage du dos destìné à remuer lentement, par une forte pression, le “rangement” de la musculature entière, Anna Lisa fond, finalement, en vraies larmes. Après avoir aidé le souffle et relàché la musculature impliquée, des contractions et des tremblements partent rapidement, par vagues, vers le bas. A la cinquième séance, (après une longue période de vide), elle recommence, pour la premlère fols, à se souvenlr de quelques rèves sur lesquels nous travaillons, mais pas encore de faon approfondie. Sa peur de subir de la violence et une haine souterrame pour les figures masculines émergent. Son idéalisme ressort, ainsi que son indignation pour les injustices, à partir de celles qu’elle a subies elle-mème. Dans son enfance elle n’avait pu fréquenter un cours de danse classique comme elle l’avait désiré; elle y avait renoncé car elle sentait intensément les problèmes économiques de sa famille, et particulièrement chez sa mère. Anna Lisa revoyait toujours son image en train de compter l’argent dans le porte-monnale, en pleurant. Anna Lisa, qui ne voulait pas que sa famille souffrìt de ces problèmes, s’en sentait finalement responsable, et finissait par ne rien demander Elle sentait profondément les injustices mais ne protestait pas, n’ayant presque pas le droit de “prendre” quelque chose pour elle-mème.
A la cinquième séance commença un travail sur le “maintenir” et le “laisser”, qui se prolongera sur une longue période. Le cou et la tite sont tenus soulevés en dehors du petit lit, jusqu ‘à provoquer un fort tremblement des muscles, (une rapide modification du tonus musculaire de base). En poussant la patiente i dépasser ce qui lui semble la limite, a “maintenir” i tout prix, méme en criant et en soufflant, on arrive i un moment où il n’est plus possible de tenir la tète soulevée, où un écroulement survient, qui mène i l’appuyer réellement.
La mime chose est faite avec les épaules, sur lesquelles le thérapeute exerce une torce en direction contraire, pour arriver a un tremblement intense et un écroulement complet. De mime avec le bassin et les jambes. A la huitième séance, il lui est encore très difficile de réussir à “rester” sans ètre forcée de reprendre continuellement ses mouvements anxieux, le contròle et l’agitation. Les réves continuent, et maintenant ils se réfèrent clairement à la thérapie et à la peur de ne pas pouvoir y pénétrer complètement (elle réve de retards, d’obstacles etc…).
Je lui fais maintenir la tète soulevée, pendant que derrière elle mes mains sont prètes à l’accueillir et à la soutenir. Elle peut sentir pius d’une fois la sensation de devoir se maintenir par elle-mème, et de pouvoir abandonner ensuite sa tète dans mes mains, en la laissant complètement. Après celle expérience, un éclat de rire nerveux se dechaine, sulvi de pleurs désespérés dans lesquels Anna Lisa appelle sa mère, peut-ètre pour la première bis avec un désir si fort. Elle n’avait jamais vraiment pleuré ainsi pour elle. A ce point je peux la prendre dans mes bras, et elle peut continuer à pleurer enlacée à moi exactement comme une fillette très petite, longuement, doucement. C’est la première fois qu’Anna Lisa réussit à s’abandonner suffisamment, à rester, sans devoir rien faire d’autre que de se sentir tenue, d’avoir un refuge, détre à l’abri, de pouvoir abandonner ses pensées et fondre en larmes. Les étapes de sa thérapie seront encore nombreuses, le travail encore intense, toutefois ce moment restera gravé comme l’un des plus importants un tournant profond et tendre dans sa thérapie et sa vie.
Les changements se succèdent ensuite, plus rapides. Elle commence à ne plus se retirer, et accepte pour la première fois de chanter dans un choeur. Elle passe brillamment un examen à l’université et en est très contente. A la piace de l’habituel accroissement du prurit, le travail thérapeutique sur le plan physiologique et sur les mouvements produit une forte brùlure aux zones lézardées de la peau (comme cela devait ètre normalement), une brfìlure qui l’éloigne de l’impulsion de se gratter. Elle fait un autre examen en seule tranquillité.
Une autre étape importante est remportée après une intense séance de travail touchant successivement le maintenir et le rester ; un mouvement rapide et nerveux comme de repousser et chasser, en donnant délibérément cours à l’agitation une aide à la respiration ; un massage tendant à faire descendre les sensations vers le bas (par un mouvement contraire à celui qu’elle tend à faire d’une manière habituelle et chronique, c’est-à-dire de retenir tout en haut). Des frissons toujours plus intenses s’amorcent et la traversent du haut vers le bas, en arrivant jusqu’aux bras et aux jambes ; des billements se succèdent en l’ouvrant à une vagotonie plus stable. Anna Lisa réussit à fermer les yeux, à laisser complètement son poids sur le lit, à détendre les muscles du visage, à rester abandonnée sans se mouvoir. Elle me dira ensuite, en reprenant le mouvement et en s’étirant comme après un sommeil très long, qu’elle n’avait jamais été si bien, complètement “une autre”. Elle avait expérimenté pour la deuxième fois, non plus dans mes bras, (et donc sans l’appui direct de l’adulte) et en outre avec une intensité plus forte, l’expérience du “pouvoir rester”, une des expériences de base les plus importantes pour le développement harmonieux et équilibré du Soi. Tous les enfants sains savent ce que signifie relcher l’étreinte de la vigilance et de la concentration, se détendre, assouplir les niveaux musculaires, arrèter les mouvements et arriver à ce que leur propre poids soit recueilli par le petit lit, ou bien par les bras de leur maman. Tous les enfants connaissent la sensation bénéfique et indispensable de rester sans pensée particulière, pendant une pause qui ralentit le rythme vital et qui permet de retrouver ses forces afin de se concentrer à nouveau, à ètre vigilant et en mouvement, sans que cela ne doive représenter un effort constant et fatiguant. Ne rien devoir faire peut ètre une expérience très agréable lorsque I’immobilité n’est pas une paralysie mais un état bénéfique : il est en effet possible de rétablir le mouvement à sa guise.
Anna Lisa réussira-t-elle à interrompre le court-circuit de l’allergie et du prurit, à affronter son père, à reprendre ses émotions et sa vie ? Pour elle, avoir gagné la possibilité de “rester” sera toujours la pierre fondamentale sur la quelle il aura été possible de bàtir d’autres résultats.